sorti le 15/11/2023
Sortie entre 2012 et 2015, la saga Hunger Games a signé la fin de la courte ère des sagas de blockbusters pour ado au cinéma. Accélérée par la décision de séparer le dernier livre en deux films (comme tant d’autres séries après le succès des deux parties du septième volet d’Harry Potter), la saga s’est achevée sur une note plutôt décevante car trop tirée en longueur, de l’aveu même du réalisateur. 8 ans ont passé et Francis Lawrence a bien appris de ses erreurs. De retour pour une quatrième adaptation cinématographique des livres de Suzanne Collins, le réalisateur fait des choix judicieux pour adapter ce préquel bien plus dense dans sa forme et singulier dans sa structure.
64 ans avant le début de l’aventure de Katniss, le jeune Coriolanus Snow se voit confier la tâche expérimentale de mentor de la fille du District 12, une certaine Lucy Gray Baird. Le méconnu Tom Blyth incarne à merveille les ambivalences qui habitent Coriolanus. Son alchimie avec sa camarade d’écran porte l’ambiguïté entre un jeu de séduction naturel et la manipulation égoïste de l’un vis-à-vis de l’autre. Tête grimpante d’Hollywood, Rachel Zegler prouve une nouvelle fois ses talents de chanteuse sous les traits de la charmante Lucy Gray. Contre eux, Viola Davis campe une antagoniste aux allures caricaturales qui correspondent pourtant si bien à son personnage de scientifique usant de son pouvoir au profit de ses recherches mais au détriment de ses ennemis. Enfin, Jason Schartzman ajoute une véritable couche comique plaisante au film avec son personnage de présentateur tête à claque, Lucky Flickerman.
Entre l’architecture stalinienne des bâtiments, le style rétrofuturiste de la technologie mise en place pour les jeux, et les costumes porteurs du sens social des personnages, la direction artistique marque par son mélange de formes. De retour à la musique, James Newton Howard assure une belle continuité avec ses compositions pour la saga de Katniss. Reprenant des thèmes pour leur symbolique ou pour leur caractérisation d’un lieu ou d’un évènement, le compositeur reprend son thème habituel d’ouverture en changeant d’instruments pour donner la sensation auditive d’un retour dans le passé.
À l’instar de Georges Lucas qui a construit ses deux trilogies Star Wars en miroir, Suzanne Colins glisse dans ce préquel de nombreux échos inversés à sa trilogie. Par exemple, si les personnages de Katniss et de Lucy Gray se ressemblent en surface (deux femmes rebelles du district 12 choisies pour les jeux), leur personnalité est diamétralement opposée. Katniss, discrète mais habile à l’arc et à la survie, rejoint la rébellion par défaut et se voit ériger en symbole malgré elle. Lucy Gray, star de la scène et rebelle dans l’âme, n’a pas d’appétence physique et doit principalement sa survie à la chance et à la ruse de son mentor. Les scènes de moisson des deux femmes symbolisent parfaitement cette opposition : Katniss se sacrifie pour sa sœur dans un pur élan de courage ; Lucy Gray est piégée par sa rivale dont elle se venge avant de monter sur scène avec le sourire puis de chanter.
[SPOILERS]
Reprenant les trois parties du livre, le réalisateur passe sous silence de nombreuses intrigues et relations entre Snow et ses camarades pour adopter un rythme plus cinématographique et préférer les scènes d’action dans l’arène à ce qui se passe en dehors. Hormis pour l’ouverture des jeux où la caméra se balade furtivement et sans cut pour suivre Lucy Gray entre les concurrents qui s’entretuent, la réalisation reste assez sage. Majoritairement filmés en contre-plongée, les personnages sont constamment iconisés par cet angle grandissant. Malheureusement, si la troisième partie gagne en efficacité dans sa montée vers le final, elle perd toutefois en puissance dans les sentiments qui unissent Coriolanus et Lucy Gray. Par soucis d’efficacité, dans la première partie, leurs entrevues se font rares et l’arène arrive avant que leur relation soit devenue charnelle. Le dilemme final de Snow n’a donc pas la portée émotionnelle tragique du livre mais l’acteur sublime en revanche le pragmatisme froid et calculé de son personnage pour mettre fin à sa balade avec l’oiseau chanteur.
Gwendal Ollivier