Mia Madre


Mia Madre
Réalisateur :
Nanni Moretti
Pays d'origine :
IT,FR
Titre original :
Durée :
1h47
Année :
2015
Date de sortie nationale :
Genre :
DR,CO
Casting :
Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini…
Synopsis :
Margherita est une réalisatrice en plein tournage d’un film dont le rôle principal est tenu par un célèbre acteur américain. À ses questionnements d’artiste engagée, se mêlent des angoisses d’ordre privé : sa mère est à l’hôpital, sa fille en pleine crise d’adolescence. Et son frère, quant à lui, se montre comme toujours irréprochable… Margherita parviendra-t-elle à se sentir à la hauteur, dans son travail comme dans sa famille ?
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par Marc Flageul

Une réalisatrice (qui fait office d'alter ego féminin pour le metteur en scène Nanni Moretti) jongle entre son métier et sa vie privée. L'oeuvre qu'elle réalise parle d'une situation politique et économique italienne en pleine crise et pour jouer le patron, le méchant capitaliste, elle engage un acteur américain : Barry Huggins (génial John Turturro, qui pousse à fond les manettes du cabotinage). Hélas ce dernier se révèle incapable d'apprendre son texte, voir même de le prononcer dans cette langue d'adoption qu'est, pour lui, l'italien. Et lorsqu'elle ne tourne pas, Margheritta (interprétée par Margheritta Buy, qui retrouve le cinéaste pour la troisième fois) doit faire face au déclin de celle qui l'a élevée, épaulée par son frère (second rôle interprété par Moretti) et sa fille.

Filmer un tournage n'a rien de nouveau, cette pratique a même offert des chefs d'oeuvres (on pense par exemple au parfois controversé "La nuit américaine" de de Truffaut). Beaucoup s'y sont cassé les dents ("Akoibon" d'Edouard Baer ou "Le créateur" d'Albert Dupontel, bizarrement il s'agit souvent d'un deuxième long-métrage). Moretti, lui, décide de détourner l'attention et s'en sort bien. Nul besoin ici de s'impliquer exclusivement dans les affres de la création, la réalisatrice n'est pas un personnage en deux dimensions, n'existant que pour être derrière la caméra. Moretti tisse des liens avec la vie, avec le quotidien, l'évidence étant dans le rapport création/procréation et l'image de la mère/créatrice. Mais si l'on va plus loin c'est dans l'envie de montrer le lâcher prise que le réalisateur construit son film. Comment accepter son imperfection, son incapacité à gérer son tournage comme ses journées et ses nuits, revoir sa vie à l'aube de ce que l'on croit être une expérience nouvelle, laisser partir ceux que l'on aime, ceux que l'on a aimés, accepter que l'on n'est pas maître de tout.

Quatre ans après "Habemus Papam", le langage garde une importance toute première. Si dans la chronique papale les mots du titre déclenchait tout, ici le langage devient personnage secondaire. L'acteur oublie son texte et la vie lui renvoie cette femme qui oublie l'importance des mots les plus simples, mais conserve la connaissance du latin, car la mère était professeur, et semble la seule à maîtriser la langue morte. Morte? Pas si sûr, car après tout, c'est aussi l'origine, et surtout celle de l'italien, c'est aussi le pont entre les générations, la petite fille travaillant ses leçons avec la grand-mère. Le langage, le verbe, créent la différence, l'annulent, la magnifient, John Turturo passant d'un italien qu'il prétend comprendre à l'anglais lui permettant de relâcher ses véritables émotions.

Mais Moretti à l'intelligence de ne pas s'en tenir qu'aux deux niveaux de son film : à la réalisation et la vie quotidienne s'ajoute la dimension onirique. Margheritta se trouve ainsi souvent dans des scènes de rêves éveillés et lors d'une scène de conférence de presse les trois plans semblent se rejoindre : les journalistes ne sont plus que tumulte, les questions fusent dans tous les sens pendant que le monologue intérieur du personnage principal apporte un semblant de paix. Et alors que les plans se rejoignent on comprend que le réalisateur montre la même histoire, celle de personnes qui cherchent à mettre de l'ordre dans leurs vies, qu'il s'agisse de réussir à tourner une scène avec un acteur incapable, ou de s'attaquer aux questions que tout le monde se pose face à une personne en fin de vie.

De belles scènes ce "Mia Madre" en est truffé, les admirateurs du cinéaste se plairont à voir, dans la scène ou la jeune fille apprend à conduire un scooter dans les rues de Rome, un clin d'oeil plus que prononcé à la première partie du "Journal intime" réalisé en 1993.

"Mia Madre" est un film complexe, mais qui se laisse apprivoiser, les références sont nombreuses et bien amenées, mais nul besoin d'être un spécialiste du cinéma italien pour passer un moment de grande qualité. Suivre Margheritta nous amène à nous poser des questions sur nos vies au travers de nos expériences familiales et professionnelles. N'est-ce pas aussi la mission du cinéma ?

Marc Flageul